Connaissez-vous l'un des deux cent douze meilleurs DJ autoproclamés de votre région ? Chanceux que vous êtes ! Car l'un des syndromes de cette activité est la grossetêtite. Dur d'y échapper. "Meilleur ceci", "meilleur cela", un DJ a le besoin d'exceller, ou plutôt, d'être considéré comme supérieur aux autres dans son domaine.
Il se doit d'être spécialiste dans un créneau malmené ou délaissé par les autres qui n'y comprennent rien, car c'est un défenseur de l'orphelin, un chevalier que ces dames s'empresseront d'aller saluer dès leur entrée en soirée. Grâce à lui, c'est une cause, un combat, qui a trouvé son héros. Les salsas les plus soporifiques, les pires remixes rock de Justin Bieber, les blues qui feraient se suicider toute une piste de danseurs de west coast swing, c'est lui qui les a trouvés, et il pensera d'ailleurs à bien le revendiquer sur Facebook (entre dix spams pour sa prochaine soirée).
Les morceaux commerciaux, il les passe aussi, mais à contrecœur, car le patron veut faire du business sur son dos. Honteux, ce patron qui ne juge du succès de la soirée que par le nombre d'entrées et les consommations du bar. Le DJ souffre dans ce monde qui oppose la qualité au chiffre et cet innocent vous en parlera dès que vous lui ferez une critique, lui qui voudrait tant vous faire plaisir mais qui ne peut point.
Lorsque c'est possible, il n'hésitera pas à rappeler ses origines comme gage de qualité label rouge. Exemple : ses origines franco-belges qui ne le séparent que d'un océan de Cuba, dans le cas d'un DJ de salsa cubaine. Eh oui, qui peut mieux qu'un DJ latino (ou presque) passer de la bonne salsa ?
Son incroyable culture est aussi à souligner : il connaîtrait par cœur — à moins que ce ne soit par ordinateur — plus de 8000 titres, leur vitesse, leurs breaks... de salsa porbaine et cutoricaine, merenta et bachague ! Il vérifie presque chaque note et chaque parole des morceaux avant de les sélectionner, effectue un long travail pour que chaque enchaînement soit tout modestement parfait, tout en gardant simultanément œil sur les danseuses (et les danseurs ! ok, moins) afin de ressentir leurs envies qu'il assouvit alors musicalement.
Lorsqu'il se permettra une danse (dans le cas du DJ danseur), il s'empressera de regagner sa place en courant juste avant la fin du morceau. Cela rassure le public. Au cas où l'ordinateur plante lors de l'enchaînement automatique. On ne sait pas trop. Enfin, on préfère, quoi. Le patron aussi, sans doute. Il faut dire qu'il le paie 100 € pour 3 heures, alors à ce prix, il est en droit de lui demander de la figuration, il ne le paie pas pour danser ! Non mais.
Mais ce talent a un revers : les critiques des jaloux. Et même s'il n'y en a pas, il est de bon ton de laisser planer l'idée qu'il y en a, le côté victime fait partie de la panoplie. Il rappellera qu'il est conscient des jaloux derrière son dos qu'il imagine susciter mais qu'il a décidé d'ignorer au point d'en parler, ou quelque chose comme ça (avec beaucoup de fautes, car c'est pas trop un littéraire). Aussitôt, son public, celui qui n'hésite pas à venir des quatre coins de la ville à ses soirées, viendra le réconforter avec les fameux "T le meilleur écoute lé pa sai des jalou" qui arriveront de justesse une nouvelle fois à le convaincre de ne pas stopper sa fabuleuse carrière. Pour le bien de l'humanité.
Toute ressemblance avec le meilleur DJ du monde de votre région serait fortuite.